Il était une fois.
On ne compte même plus le nombre de fois où l'on a entendu ces quatre petits mots, prononcés par Papa ou Maman alors que l'on se préparait à s'endormir. De même qu'on ne compte plus le nombre de fois où l'on a demandé à ses parents ce qu'il se passait après le Fin, et qu'ils n'ont évidemment su vous répondre que par ce qui était déjà écrit : ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Parce qu'ils ne pouvaient rien inventer, ils n'allaient pas vous mentir.

Alors si vos parents n'ont pas réussi à inventer une suite à vos contes préférés, comment se fait-il que tous leurs auteurs aient réussi à le faire ? Certaines questions se posent alors dans votre tête d'enfant devenu grand.

Et s'ils n'y étaient pas parvenus ? Et si les histoires que l'on vous raconte depuis votre plus tendre enfance étaient en fait plus réelles qu'elles ne le paraissent ? Et si ces hommes et femmes n'avaient fait que rapporter des faits passés, comme on tiendrait un journal sur un groupe de personnes en particulier ?

Et si tous ces personnages soi-disant fictifs étaient en fait là, parmi nous ? Et si ces histoires dont vous pensiez connaître la fin n'avaient pas encore fini d'être écrites ?

Il y a cette ville, Fairytown, à cent-cinquante bornes de Londres, entourée d'arbres qui semblent la protéger de l'extérieur. Il y a là-bas des gens qui vivent une existence banale... du moins, en apparences.

Seconde moitié du XVIème siècle

Au commencement, il y avait cet homme, William Shakespeare, grand philanthrope légèrement avance sur son époque, qui achetait un terrain pour y bâtir la ville de ses rêves, selon un idéal que le monde n'était pas encore prêt à accepter alors. Alors que l'on bâtissait les fondations de sa ville sans nom, Shakespeare invita de deux ses grands amis, Montaigu et Capulet, à venir y vivre avec leurs familles respectives. La ville n'était pas encore tout à fait construite qu'on commençait déjà à y habiter, et bientôt il n'y eut plus suffisamment de place pour tout le monde. Et alors que Shakespeare redoublait d'efforts pour faire avancer les travaux, Montaigu et Capulet décidèrent d'alléger le poids sur les épaules de leur ami et quittèrent la ville pour l'Italie, promettant de revenir dès que la ville sans nom serait terminée. Ils partirent avec leurs frères et leurs femmes, et les trois hommes se donnèrent rendez-vous dans un avenir proche.

Pour tenir ses amis au courant de l'avancement de la ville, Shakespeare commença à tenir un journal dans lequel il raconta comment ceux qui étaient restés grandissaient, pendant que ses amis devenus italiens correspondaient avec lui. Puis au fil des années, les lettres se firent de plus en plus rares, plus personne ne vint aux nouvelles, et le journal de Shakespeare continuait à se remplir d'événements qui ne semblaient plus intéresser personne de l'autre côté de la mer.

Un jour, alors que son projet arrivait bientôt à son terme, il prit la décision de partir pour Vérone -où s'étaient installées les familles depuis maintenant vingt ans- et ce qu'il trouva au bout de son voyage fut un véritable cauchemar. Ceux qui étaient autrefois ses plus grands amis menaient désormais une guerre contre l'autre, pour une raison que personne ne lui communiqua jamais. Plus tard, il mettra cela sur le compte de la corruption des hommes. Il tenta de jouer les médiateurs entre les deux chefs de famille mais d'un côté comme de l'autre on lui tourna le dos, et au fil des jours les choses avancèrent de pire en pire. Shakespeare continua de tenir son journal, jusqu'au moment où les héritiers se donnaient la mort pour échapper à cette querelle. Il intitula son premier livre d'après leurs noms, Roméo et Juliette.


Fin du XVIème siècle

Dévastés par cette perte, Montaigus et Capulets enterrèrent la hache de guerre et acceptèrent de rentrer en Angleterre avec Shakespeare. Ce dernier, bouleversé par les événements, laissa ses amis rentrer de leur côté et fit un détour par la Grèce pour tenter de comprendre en quoi il avait échoué. Ce qu'il aurait pu mieux faire pour éviter d'en arriver jusqu'à perdre des enfants qui n'avaient rien fait, et qui portaient le poids du monde sur leurs épaules.

Il rencontra des fées lors de son voyage en Grèce. L'existence de la magie lui redonna de l'espoir, et en écrivant Le Songe d'une Nuit d’Été il réalisa que tout le monde n'avait pas son ouverture d'esprit. Le monde n'était pas encore prêt à accueillir des êtres aussi différents, et si leur existence venait à être découverte, alors le peuple des fées était voué à disparaître.

Ce fut le tournant qui lui permit de trouver une utilité à la ville qu'il avait bâtie. Plutôt que la garder égoïstement, il proposa au peuple d'Obéron et Titania de la partager avec eux. C'est avec plaisir que les fées le suivirent jusqu'en Angleterre, et à compter de ce jour, on désigna cette ville cachée derrière une forêt comme étant Fairytown, la ville des fées.


XVIIème siècle

Le début du XVIIème siècle fut marqué par la mort de William Shakespeare, tandis que les habitants de Fairytown, bénis par la magie des fées, ne prenaient pas une ride. Avant de mourir, Shakespeare confia une tâche à ses enfants : comme lui, ils devraient « chasser les contes » pour les emmener à Fairytown, loin des brimades discriminatoires des humains, le temps que le monde soit prêt à les accueillir comme les leurs.

Un demi-siècle plus tard, Charles Perrault entreprenait la même quête depuis l'autre côté de la Manche. Il entendit parler de Fairytown par le biais de rumeurs qui avaient fait leur chemin jusqu'en France, et entreprit de poursuivre l'oeuvre de William Shakespeare en emmenant jusqu'en Angleterre les compagnons qu'il s'était fait en leur promettant un endroit où ils pourraient vivre sans être discriminés. La population de Fairytown s'agrandit avec l'arrivée des personnages des Contes de ma mère l'Oye, et c'est ainsi que les Shakespeare de l'époque décident de créer une l'organisation des chasseurs de contes, les Tales Hunters.


XVIIIème siècle

Il faudra attendre le siècle suivant pour que nouveaux chasseurs fassent leur apparition. Jacob et Wilhelm Grimm rejoignent les Tales Hunters, ramenant avec eux les personnages venus d'Allemagne, et peu de temps après Hans Christian Andersen débarque du Danemark et agrandit la population de Fairytown.

Mais avec l'augmentation de la densité de population entraîna des problèmes. Certains êtres magiques considérèrent avoir suffisamment de pouvoir pour renverser le règne des humains, et ne plus avoir à se cacher pour éviter la discrimination. Pendant ce temps, les Tales Hunters persistaient à penser que le monde n'était pas encore prêt à les accueillir, et ce désaccord divisa la population de Fairytown en deux camps. Il commença à y avoir des soulèvements, de plus en plus violents, et beaucoup furent grièvement blessés.

Les chasseurs de contes, qui étaient alors Jacob et Wilhelm Grimm, Hans Christian Andersen, les descendants de William Shakespeare et ceux de Charles Perrault, choisirent à l'issue d'un vote de prendre des mesures afin d'assurer la sécurité de la population. Ils firent alors appel aux douze marraines fées de la Belle au Bois Dormant pour ériger un champ de force visant à empêcher la totalité des habitants de sortir des limites de la ville.
Mais cette puissante barrière avait ses limites : tant qu'il resterait un descendant de chaque famille de chasseurs de contes à l'intérieur de la ville, la barrière resterait intacte. Si jamais Fairytown se retrouvait sans aucun descendant de chasseurs de contes, la barrière se dissiperait complètement et tous pourraient sortir à leur guise.


XIXème siècle

Lewis Carroll fit son entrée plus tardivement dans la chasse aux contes. En un peu moins d'un siècle, les tensions se relâchèrent légèrement à Fairytown. Il n'y eut plus de conflit directs, seulement des affrontements qui se faisaient de façon plus subtile et diplomate. Petit à petit, on oublia qui faisait partie de quel camp, et bientôt on retrouva le calme à Fairytown.
Et puis quand ce fut au tour de Lewis Carroll de quitter ce monde, on réalisa qu'il ne restait plus que les descendants de chaque conteur, et un certain nombre d'entre eux choisit de prendre une route différente, bien qu'ils se mirent toujours d'accord pour qu'au moins un membre de chaque famille veille sur la barrière de protection.

SECONDE MOITIE DU XXème siècle

Il fallut attendre une nouvelle ère pour que des changements fondamentaux soient opérés à Fairytown. La fin de la Seconde Guerre Mondiale entraîna une prise de décision rapide des Tales Hunters de l'époque : le monde étant en pleine évolution, ils décidèrent de faire un pas en avant et d'ouvrir les portes de la ville  aux humains. Au départ, beaucoup furent réticents à cette idée mais on se rendit très vite compte que les temps avaient bien changé depuis la chasse aux sorcières, et petit à petit les Dreamers -comme les personnages de contes aiment s'appeler pour se différencier des humains- se fondirent dans la masse, en s'adaptant à leurs époques comme ils ont toujours appris à le faire.